C’est arrivé à mon ami Patrick, fonctionnaire fédéral depuis 30 ans. À 53 ans, il a vu son poste aboli, comme des milliers d’autres, et il a été mis à pied sans préavis alors que sa femme est à la maison, ne pouvant travailler à cause de son état de santé. Lui qui se croyait protégé par une convention collective en béton qui lui donnait la sécurité d’emploi à vie. Cela fait 18 mois que Patrick a perdu son emploi et il ne trouve pas. Alors il prend des contrats à droite et à gauche, en attendant.
La personne qui devient travailleur autonome malgré elle, parce qu’elle est au chômage, vit intensément tous les problèmes existentiels qui sont le sujet des premiers chapitres de ce livre.
Si vous êtes dans cette situation, vous avez un as dans votre jeu : vous pouvez y consacrer tout votre temps – ou à tout le moins, des semaines complètes. Certains problèmes ne se résolvent toutefois qu’au fil du temps. Il faut donc pouvoir durer.
C’est là le hic : presque tous les conseillers en démarrage d’entreprise recommandent aux travailleurs autonomes qui se lancent en affaires de ne pas quitter leur emploi, s’ils en ont un, pour pouvoir soutenir leurs efforts au début. Alors si vous êtes au chômage et que vous avez réellement l’intention de vous lancer en affaires, vous devriez quand même tenter de vous trouver un boulot, même à temps partiel.
Parce que se lancer en affaires est une entreprise longue et difficile que l’on peut effectivement tenter si on a le dos au mur, mais qu’il est plus facile de réussir avec une source de revenus parallèle.
Certaines circonstances particulières peuvent vous faciliter la vie et rendre cette nécessité d’un emploi moins impérieuse. Par exemple, si vous avez des réserves ou un conjoint qui vous soutient financièrement. Ou si vous vous lancez dans un domaine qui vous est très familier et où vous jouissez déjà d’une belle réputation. D’autres effectuent un retour au travail après de longs mois, voire de longues années à s’occuper de leur famille ou d’un proche. En général, ils ont eu le temps d’y penser et de trouver les ressources pour les aider. Dans ces cas particuliers, vous avez une marge de manœuvre.
Les travailleurs autonomes « involontaires » ont une grosse pente à remonter, d’abord parce que les circonstances, la vie, les pousse dans une direction qu’ils n’ont pas choisi d’emprunter.
Les principaux défis du travailleur autonome au chômage sont de nature conceptuelle. Ils sont confrontés à ce que Freud appelait un sentiment océanique, c’estàdire un changement profond de leur être, car tous leurs anciens repères ont disparu : non seulement la routine quotidienne et le contact avec les collègues, mais l’existence même d’une structure qui les organise et d’un patron auquel se rapporter. Se libérer du paradigme « patronemploisalaire » n’est facile pour personne, même quand c’est la conséquence d’un choix.
Heureusement, divers ministères ou associations de travailleurs autonomes, dont je parle en fin de livre, proposent des programmes pour vous aider. Il se peut même que le service de ressources humaines qui vous a mis à pied offre certains services aux exemployés.
Outre la question des ressources, l’autre grande question est celle de vos visées. C’est exactement le problème de mon ami Patrick : il est maintenant consultant en immigration, mais il offre un service indifférencié, qu’il n’est pas particulièrement intéressé à différencier parce que ce qu’il souhaite vraiment, c’est de trouver un emploi… qu’il ne trouve pas. Sa priorité estelle de trouver un emploi ou de se lancer à son compte ? En fait, les difficultés de Patrick viennent du fait qu’il veut le meilleur des deux mondes et reste assis entre deux chaises. On ne peut pas être travailleur autonome à moitié à moins d’avoir une réputation blindée et une clientèle fidèle.
Si Patrick décide de devenir un consultant en immigration, il y a une série de gestes à faire pour y arriver en tant que travailleur autonome. Et il se peut que, pour financer sa transformation, il doive aussi prendre un boulot insignifiant, mais justement : le fait d’avoir un but et un plan précis lui rendra plus tolérable la nécessité d’avoir une jobine.
À l’inverse, si Patrick penche vers un retour au statut d’employé, il faudra qu’il investisse dans luimême en vue du poste désiré, en suivant des cours par exemple, ou en allant voir ailleurs. Gatineau n’est pas une petite ville, mais au jeu de l’emploi, il faut parfois accepter la mobilité si on ne veut pas sacrifier son niveau de vie. Cela veut dire aussi que si Patrick exécute, dans l’inter valle, des « petits contrats » pour joindre les deux bouts, il ne devrait pas trop s’investir comme travailleur autonome, précisément parce qu’il vise autre chose.
Quoi qu’il en soit, il n’ira nulle part s’il persiste à rester assis entre deux chaises.
J’ai un ami, Robert, qui est non seulement un brillant ébéniste, mais aussi un technicien en fabrication mécanique ET un ingénieur. Surqualifié et très intelligent, Robert n’aimait pas travailler à son compte. Un grand nerveux, Robert. Pendant cinq ou six ans, il a visé un boulot très précis, responsable des ateliers dans une école d’art. Il a fait ses boulots et ses petits contrats, il a même pris des jobines très en dessous de ses capacités, mais il a fini par décrocher le poste. Mais Robert a tout mis pour l’obtenir.
Donc, un travailleur autonome chômeur doit décider s’il s’assume ou non. L’autre décision urgente et difficile est : qu’estce que je fais ?
Cela nous ramène aux premiers chapitres du livre. Les tests que vous faites au centre d’emploi ou auprès de consultants en ressources humaines ont un but très similaire à celui que ferait n’importe quel travailleur volontaire en préambule de son plan d’affaires. Cela commence par une analyse froide de votre situation matérielle, professionnelle, personnelle, et cela pose nécessairement la question de vos compétences et de vos goûts, qui se manifestent bien souvent dans vos passetemps. C’est parfois très douloureux.
J’ai un autre ami, JeanPierre, qui s’est mis au chômage de façon volontaire. Il vient de renoncer à son très bel emploi pour une chaine télé pour se lancer comme courtier hypothécaire. Cela faisait deux ans qu’il était « déconcrissé » de son emploi d’affectateur au service des nouvelles. Il a examiné plusieurs hypothèses. Ses goûts personnels l’ont amené à considérer le travail d’agent hypothécaire. Son indemnité de départ a financé sa formation. Il en aura pour une bonne année à prendre son envol, mais sa position de départ est avantageuse : sa conjointe a un excellent revenu et il s’associe avec sa sœur, qui est une agente hypothécaire établie. JeanPierre a des doutes, cela paraît quand il parle de son plan. De toute manière, comme travailleur autonome, il doutera toujours un peu toute sa vie. Mais même en cas d’échec, moi je n’ai aucun doute sur sa capacité de rebondir.
Certes, il devra apprendre le fondement du plan d’affaires, à générer des idées fortes et monnayables, à calculer son taux horaire, à analyser froidement sa situation financière, à organiser son bureau, à se vendre, mais c’est le défi qui attend tous les travailleurs autonomes.
Un autre problème qui en touche plusieurs tient aux compétences de base. J’ai été surpris d’apprendre que 49 % des Québécois de 15 à 65 ans ne disposent pas d’une capacité de lecture fonctionnelle. Sans être complètement analphabètes, ils ont du mal à lire parce qu’ils n’ont tout simplement pas assez lu en dehors des limites étroites de leur boulot. La plupart découvrent leur problème au pire moment, soit quand ils perdent leur emploi : ils ont du mal à organiser leur CV et à écrire une lettre de présentation, ils ont du mal à passer les examens de qualifications, ils ratent des questions qui auraient dû être évidentes. Évidemment, si vous avez acheté ce livre, il y a de bonnes chances que ce ne soit pas votre problème ! Mais de grâce, si vous soupçonnez ce problème chez une personne de votre entourage, dirigezla vers un centre d’alphabétisation.
Concrètement, un de vos premiers gestes comme travailleur autonome devrait être de vous créer votre propre espace de travail, bureau ou atelier, comme je l’expliquais au chapitre 1. C’est important au plan pratique et au plan symbolique. Ce serait une grave erreur de remettre ça au premier contrat. Ce n’est pas parce que vous êtes maintenant à la maison que vous devriez tolérer que le petit renverse son lait sur votre ordinateur ou se mouche dans votre contrat. Ou que vous deviez vous occuper des enfants, faire l’épicerie et le ménage pendant les heures de bureau parce que vous êtes à la maison. Il est absolument essentiel que vous créiez un espace qui sera le vôtre et qui deviendra une terre étrangère pour votre entourage. Ce sera votre base d’opérations : quand vous êtes là, vous n’êtes plus chez vous.
Un dernier conseil : votre insécurité pourrait faire que vous acceptiez n’importe quoi de vos clients, à plus forte raison si votre client est votre ancien employeur. La situation à éviter est de devenir un travailleur autonome déguisé. Bien des employeurs engagent des « faux travailleurs autonomes », qu’ils obligent même à se pointer au travail tous les matins. C’est le pire des deux mondes puisque l’employeur se soustrait ainsi, illégalement, à ses obligations d’employeur pour faire des économies sur votre dos. Vous devriez le dénoncer au fisc ou au ministère de l’Emploi. Au chapitre 6 du livre, je parle des critères du fisc pour définir un véritable travailleur autonome. Si vous examinez votre situation et constatez que vous êtes effectivement un « employé déguisé en travailleur autonome », vous devriez prendre les moyens pour corriger cette situation.